Ayla Harvie : la soif de vivre et d’être vue
« Tout le monde mérite d’écrire le scénario de sa vie. »
Ayla Harvie, barista dans un café Starbucks de Toronto, prend une pause au milieu d’un après-midi chargé pour parler de visibilité. Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur elle. C’est son scénario.
Quand on lui demande ce que représente la visibilité pour elle, sa réponse, d’une simplicité désarmante, fuse instantanément : « Le pouvoir de la visibilité est tout pour moi. »
Artiste, youtubeuse, collaboratrice chez Starbucks et femme trans, Ayla sait par expérience que la visibilité donne des ailes, et que le sentiment d’invisibilité laisse des marques.
« À force de ne pas être représenté, on se demande quelle est notre place dans le monde et la société, et comment on peut briller. Alors on en vient à se traiter différemment. Honnêtement, je n’avais pas grand respect pour moi-même en grandissant... Je ne veux en aucun cas revenir en arrière. »
Malgré ses propos douloureux, Ayla se livre avec la clarté et l’enthousiasme d’une créatrice passionnée. À l’école d’art, elle a été exposée à de nouvelles disciplines et à des militants allosexuels inspirants. Ces jours-ci, elle explore sa transition avec des aquarelles vives.
« Les artistes sont naturellement philosophes. »
Ayant grandi dans un milieu souvent sourd aux enjeux LGBTQ, elle a eu du mal à trouver un modèle positif. Ayla n’avait aucune idée des possibilités qui s’offraient à elle, mais elle a très vite compris ce qu’elle ne pouvait pas faire :
« Quand j’étais enfant, on me disait que je pouvais devenir ce que je voulais. Et je voulais être une maman. Alors on me rappelait à l’ordre. J’étais un garçon. Je n’en revenais pas. On me disait que je pouvais être astronaute, mais pas maman? »
En 2009, elle trouve enfin son héroïne.
« La première femme trans à laquelle je me suis identifiée est Laura Jane Grace du groupe Against Me! Quand je l’ai vue, j’ai vu un monde de possibilités. J’étais un peu punk et rebelle à l’époque, alors j’écoutais sa musique. J’ai trouvé fascinant de suivre Laura dans sa transformation. »
Artiste iconoclaste et porte-parole inébranlable, Laura était l’inspiration parfaite. La transformation d’Ayla n’a pas commencé à ce moment précis, mais une graine venait d’être semée.
« Les statistiques montrent qu’il s’écoule souvent 10 ans entre le moment où les femmes trans comprennent leur identité et le moment où elles en parlent. Je me reconnais là-dedans. Pendant 10 ans, je me suis livrée à un travail de réflexion pour essayer de comprendre ce qui m’arrivait. »
Durant cette décennie, la visibilité a tenté de se tailler une place dans la nouvelle réalité d’Ayla, parfois sous la forme de commentaires encourageants d’un ami, parfois sous la forme de nouveaux mots de vocabulaire.
« J’ai la chance d’avoir des amis merveilleux qui se sont épanouis et instruits avec moi. Un ami m’a fait connaître le mot “trans”. J’ai alors réalisé que cette réalité avait un nom et qu’elle était peut-être seulement mal comprise. »
En 2016, Ayla ne voulait plus se cacher. Un commentaire insensible de la part de son père a fait naître en elle le besoin de s’affirmer et de s’afficher comme femme devant lui.
« Je lui ai dit : “Papa, je suis trans”. Il est sorti quelques minutes, puis il est revenu et m’a dit : “Je suis désolé. Je vais être un meilleur père pour toi. Je t’aime. Ça va aller.” Deux semaines plus tard, il renouvelait ma garde-robe. »
Au même moment, de plus en plus de gens partageaient des histoires similaires à la sienne en ligne.
« J’ai commencé à m’intéresser au processus de transition en regardant les vidéos de youtubeuses comme Gigi Gorgeous, Maya Henry et Steph Senjati. Elles m’ont inspiré à publier mes propres vidéos sur YouTube. Ce parcours s’est avéré merveilleux et cathartique. Il m’a aidé à alléger le poids que je porte sur mes épaules. Encore aujourd’hui, je ressens un certain niveau de transphobie internalisée que je dois surmonter pour continuer de m’épanouir. Je trouve absolument incroyable d’avoir la chance d’évoluer devant tout le monde et d’ouvrir la porte à ce genre de conversation. »
Même si elle a trouvé sa place dans l’univers numérique, Ayla se heurte encore à des obstacles dans le monde réel. Elle a rapidement constaté à quel point il pouvait être difficile pour une personne ouvertement trans de trouver un emploi.
« Personne ne voulait m’embaucher. Certains me demandaient même carrément si je pensais sérieusement qu’ils voulaient d’une personne comme moi pour représenter leur entreprise. »
En 2017, elle a donc communiqué avec Youth Employment Services, un organisme ontarien sans but lucratif qui lui a conseillé d’aller à la foire à l’emploi de Starbucks à Toronto, où elle a obtenu une entrevue sur place avec un gérant de magasin.
« Comme de fait, ma candidature les a vivement intéressés. Du tac au tac, le gérant m’a demandé quand je pouvais commencer et j’ai répondu que j’étais disponible dès le lendemain. »
Elle avait trouvé son équipe. Peu après son entrée en poste, on a demandé à Ayla de participer à une séance de discussion qui abordait notamment la question de l’inclusion des personnes trans.
« Le simple fait qu’on me demande si j’étais représentée adéquatement était renversant. J’étais bouche bée. J’ai beaucoup de respect pour cette entreprise, car elle en a tout autant pour moi. »
Pour Ayla, cette attitude est synonyme de visibilité en action. Elle ajoute ceci :
« Bien des gens qui n’ont pas encore fait leur coming-out veulent essayer leur nouveau nom. Alors ils vont chez Starbucks, car ils savent que le prénom qu’ils ont choisi sera écrit sur leur tasse, et qu’on les appellera ainsi. Ça leur permet d’affirmer leur identité. Certaines personnes ne savent pas si leurs parents ou leurs amis vont utiliser le prénom et le pronom qui les représentent, alors elles vont dans un magasin qui les aidera à affirmer cette identité. C’est fantastique. »
Avant de retourner derrière le comptoir, Ayla prend un moment pour nous raconter l’histoire de son propre prénom.
« Un jour, j’ai décidé de m’allonger pour méditer et écouter ce que je ressentais vraiment au plus profond de mon âme. Les syllabes “Ay” et “la” faisaient continuellement surface. J’avais trouvé mon prénom. En faisant des recherches en ligne, j’ai découvert que ce prénom avait deux racines. En hébreu, Ayla signifie “chêne”. C’est un arbre qu’on associe souvent à la sagesse, à la force et à l’énergie masculine. En turc, il signifie “halo de lune” et est associé à la beauté, à une lueur dans la nuit, et à la féminité. C’était la combinaison parfaite pour moi... alors je l’ai gardée. »
La visibilité, c’est plus que le simple fait de s’afficher. Ça veut aussi dire partager, prendre un événement et en créer un autre, puis un autre, pour toucher les gens et transformer des vies. Le 31 mars marque la journée internationale de visibilité transgenre. Soyez un allié, soyez un défenseur, et affichez vos couleurs. Pour en savoir plus, visitez TDOV.org.
Ne manquez pas la toute nouvelle émission d’Ayla intitulée Ayla Mode, présentée sur sa chaîne YouTube.